Pheeta a été lancée au printemps/été 2019 et en est à sa sixième année. Jusqu'à présent, toutes les collections ont été produites en Inde, selon des techniques vestimentaires traditionnelles qui nécessitent beaucoup de temps et d'efforts pour créer des vêtements faits main. Cette fois, nous nous concentrons sur la série Francis, qui utilise la méthode particulièrement rare de l'impression au bloc, utilisant des motifs sculptés à la main et des blocs de bois. Nous avons discuté avec la directrice Naoko Koude de l'attrait et de l'histoire de cette collection.
Photographe : Hiroshi Nakamura
Intervieweur : Mayu Sakazaki
Connecter les vêtements, connecter les compétences
Pour commencer, pourriez-vous nous reparler de la façon dont vous fabriquez les vêtements chez Pheeta ?
Notre objectif chez Pheeta est de créer une pièce spéciale qui sera aimée pendant longtemps, quelque chose qui peut être transmis d'un parent à un enfant, comme un trésor familial spécial.
Cette idée s'inspire des vêtements traditionnels japonais, comme les kimonos, que les familles transmettaient précieusement de génération en génération. Pour ce faire, nous utilisons un savoir-faire que nous espérons également transmettre. Jusqu'à présent, chaque collection a été confectionnée en Inde, où règne une profonde culture du travail manuel. Nous y consacrons une grande partie de notre temps à la création d'échantillons et ajoutons progressivement de nouvelles séries à notre collection.
Parmi tous les endroits où l’on trouve des objets artisanaux spéciaux, pourquoi étiez-vous si intéressé par l’Inde ?
Dans mon précédent emploi, j'ai visité des ateliers dans de nombreux pays, mais c'est en Inde que j'ai ressenti la plus forte personnalité. Cela se reflétait dans les vêtements finis et aussi dans le savoir-faire artisanal, comme la broderie, qui variait énormément d'un endroit à l'autre. J'avais l'impression que ces savoir-faire faisaient partie intégrante de la culture.
Mais j'ai aussi constaté qu'une grande partie de la production textile du pays était axée sur la fabrication de grandes quantités d'articles à bas prix. J'avais l'impression que leur incroyable savoir-faire n'était pas pleinement exploité. Je me suis dit qu'en travaillant ensemble sur tous les aspects, y compris la couture et les patrons, nous pourrions créer quelque chose de vraiment original. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles j'ai choisi l'Inde.
Cela fait environ trois ans que vous avez commencé en 2019. Qu'avez-vous appris ?
J'ai découvert qu'il y a tellement de gens en Inde qui aiment créer. Ils sont très fiers de leur travail, ils ont ce merveilleux sentiment : « Regardez ce que je fais. »
Parce que tout est fait à la main, chaque pièce est légèrement différente. Nous pensons que ce n'est pas une erreur. Cela fait partie de la beauté et montre que c'est une personne, et non une machine, qui l'a créée. Les objets fabriqués par l'homme ont le pouvoir de toucher nos cœurs. Je pense que l'Inde possède une culture qui comprend véritablement cette valeur, et c'est ce qui la rend si spéciale.
Cet esprit influence donc également vos créations et les thèmes de vos collections ?
Oui, c'est vrai. Chez Pheeta, nous fabriquons exclusivement des vêtements de manière artisanale. C'est pourquoi nous démarrons toujours nos ateliers en trouvant une technique ou un savoir-faire que nous souhaitons utiliser. Nous visitons les artisans, échangeons avec eux et essayons de créer ensemble. Ce processus est à la base de notre travail. Je crois que les talentueux artisans ressentent aussi profondément que nous créons ensemble quelque chose. La beauté de l'impression au tampon sur bois sculpté à la main.


C'est votre sixième recueil. Y a-t-il un thème général ?
Le thème de cette collection est le nenkō. Ce terme japonais désigne les couches de sol qui s'accumulent au fond d'un lac au fil des ans. Une couche sombre se forme au printemps et en été, et une couche claire en automne et en hiver. Ensemble, elles marquent une année. Au fil des décennies, ces couches forment un magnifique motif.
Nous avons également trouvé que c'était une belle idée pour nos vies : même après une année difficile, nous pouvons toujours aller de l'avant et créer quelque chose de beau. En raison de la pandémie, nous n'avons pas pu nous rendre en Inde en 2021 et la production était instable. Pour la collection 2021, nous avons donc mis à profit les compétences manuelles acquises au cours des trois années précédentes avec de nouveaux matériaux et de nouveaux modèles.
La pandémie a-t-elle affecté les opérations des usines en Inde ?
Les règles du gouvernement indien étaient très strictes en raison du coronavirus, mais à la mi-2021, environ la moitié des artisans avaient repris le travail. Le pic s'est produit vers avril et mai 2020, lorsque tout a été complètement confiné pendant environ deux mois. La situation est redevenue difficile en 2021, mais la situation a commencé à se calmer à partir d'août et les règles se sont assouplies.
L'impression au tampon de votre série Francis est présente dans de précédentes collections, c'est donc une signature pour Pheeta. Pouvez-vous nous expliquer de quelle technique il s'agit ?
L'impression au tampon est née à Jaipur, la plus grande ville du Rajasthan, État du nord-ouest de l'Inde. Autrefois, de nombreux artisans pratiquaient cette technique, mais aujourd'hui, grâce à l'impression numérique, ce savoir-faire se raréfie.
Pour le réaliser, nous partons d'un motif que je dessine. Un artiste grave ensuite ce motif dans un bloc de bois, ce qui peut prendre environ deux semaines pour terminer un seul bloc. Nous en fabriquons plusieurs exemplaires. Ensuite, comme un tampon, ils pressent le bloc sur le tissu avec de l'encre, une couleur après l'autre. Créer le motif complet demande beaucoup de temps et un soin incroyable (rires).




Chaque bloc est réalisé à la main. La création du motif final demande beaucoup de temps et de soin, du premier dessin à la gravure et à l'impression finale.
Travailler avec une technique comme celle-là doit être difficile à gérer.
C'est vrai. Comme les couleurs sont appliquées une à une, la météo a un impact important. Pendant la saison des pluies, l'encre peut couler, ce qui nous oblige à interrompre le travail. Cela demande également beaucoup de temps et d'argent, ce qui explique sa rareté en Inde et, bien sûr, au Japon. Mais récemment, les gens ont commencé à vouloir utiliser des produits de haute qualité depuis longtemps, et c'est pourquoi la valeur de ce savoir-faire particulier est enfin à nouveau reconnue.
Une fois les blocs terminés, ils sont pressés sur le tissu.
Qu’est-ce que vous trouvez de si beau dans l’impression au bloc ?
Pour moi, c'est cette sensation particulière qui ne peut naître que de la collaboration de plusieurs mains. Mon dessin original n'apparaît pas simplement sur le tissu. Il est d'abord tracé sur du bois, puis sculpté, puis un lourd bloc de bois est pressé sur le tissu à plusieurs reprises. Durant ce processus, il arrive que l'encre bave légèrement ou que les motifs ne s'alignent pas parfaitement. Je crois que c'est là toute la beauté du travail manuel.
Nous n'utilisons pas les blocs de bois une seule fois. Nous pouvons les réutiliser pour une nouvelle collection ou pour confectionner de petits cadeaux comme des mouchoirs. Nous imprimons des blocs avec l'idée de continuer à utiliser les objets, plutôt que de les jeter.
Les restes de tissus des collections passées trouvent une nouvelle vie sous forme de mouchoirs cadeaux grâce à l'impression au bloc.
Un message clair d'une marque artisanale
Préserver les savoir-faire traditionnels du travail manuel est facile à dire, mais j'imagine que c'est très difficile à réaliser. Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés ?
Réaliser un seul échantillon prend énormément de temps. Outre l'impression au tampon, nous utilisons d'autres techniques expertes, comme les plis qui ne peuvent être tissés qu'à la main, la dentelle réalisée sur des métiers à tisser centenaires et la broderie dessinée à la machine à coudre ou cousue simplement avec une aiguille et du fil. Tout cela représente un véritable défi pour les artisans et pour nous, designers (rires). Nous devons également fournir toutes les instructions pour les patrons et les dessins en anglais, ce qui nous oblige à tout planifier bien plus à l'avance qu'on ne le pense.
Cela semble être une quantité de travail incroyable.
C'est précisément pour cette raison que chez Pheeta, nous ne nous contentons pas d'utiliser une technique ou une série une seule fois, puis de l'abandonner. Au contraire, nous les transposons à la saison suivante ou en faisons une signature de notre marque. Nous ne créons pas tout de zéro à chaque fois ; nous avons plutôt l'impression de nous appuyer sur ce que nous avons déjà fait et de le moderniser. C'est précisément dans cette optique de connexion que nous avons créé notre sixième collection.
Quelle est la réaction des artisans avec lesquels vous travaillez ?
Nous commençons généralement par demander un petit échantillon de tissu, et non un vêtement entier. Lorsque nous demandons des détails de couture ou de broderie sur ce petit morceau, il arrive que les clients se demandent : « Quel genre de vêtement cela va-t-il donner ? » Mais lorsque nous récupérons le tissu fini et leur donnons les patrons et les instructions complets, et qu'ils voient le vêtement final, ils comprennent. Ils disent : « Oh, voilà le résultat ! » Nous avons de nombreuses réunions pour expliquer nos idées, mais c'est une joie de se comprendre petit à petit.
Des imprimés séparés se réunissent pour former un seul motif.
Les livres imprimés à la main de Tara Books, une maison d'édition de Chennai, une grande ville de l'est de l'Inde, sont également très connus. Ressentez-vous un lien avec cet esprit artisanal plus répandu dans le pays ?
Oui, le papier en Inde possède un pouvoir particulier, et les méthodes d'impression utilisées par Tara Books ont beaucoup en commun avec l'idée que se fait Pheeta d'un travail manuel de qualité. Les Indiens ne considèrent pas ces choses comme extraordinaires ou spéciales ; elles font simplement partie de leur quotidien. Quand je vois leurs créations, je les trouve tellement charmantes. Elles sont très humaines.
La texture et la beauté que vous pouvez ressentir au toucher sont le message que nous souhaitons transmettre. Chez Pheeta, nous accordons également une grande importance à l'attention portée à chacune de nos actions. Par exemple, nos étiquettes de produits sont fabriquées en Inde à partir de papier recyclé provenant de chutes de tissus en coton. Nous les imprimons selon une méthode d'impression traditionnelle qui consiste à presser les lettres dans le papier.
Ce que Pheeta veut faire ensuite
Alors que vous continuez à créer davantage de collections, qu'est-ce qui est devenu le plus important pour vous en tant que marque ?
L'idée de relier les choses. Cela n'a pas changé depuis notre tout premier concept. Pour que nos vêtements soient toujours aussi beaux dans 10 ou 20 ans, nous savons que la marque doit évoluer tout en préservant ce savoir-faire. Il est important pour nous d'améliorer sans cesse les petits détails que vous ne voyez pas toujours, comme la densité du tissu revue chaque saison ou le remplacement du fil par du coton biologique. Nous voulons créer des vêtements qui suscitent la joie dès la création, afin que vous les portiez avec amour.
Votre service d'entretien après teinture est également une merveilleuse idée.
Merci. La reteindre était une pratique courante dans la culture vestimentaire traditionnelle japonaise. Nous avons lancé un programme permettant, si un vêtement Pheeta clair est taché et ne peut pas être enlevé, de le teindre en noir pour en faire un nouveau vêtement. Nous espérons que même si vous portez un vêtement depuis des années et qu'il a jauni, ou que vous le portez moins en vieillissant, vous pourrez en profiter à nouveau d'une toute nouvelle façon.
Quelle est la prochaine étape pour vous ?
J'espère travailler avec les cultures artisanales d'autres pays et régions, pas seulement de l'Inde. J'ai déjà commencé à visiter certains endroits, mais comme par le passé, cela prendra probablement beaucoup de temps (rires).
Par ailleurs, je souhaite continuer à développer l'univers Pheeta. Nous progresserons en accordant une attention particulière à chaque détail de notre marque, et pas seulement aux produits eux-mêmes.
Profil
Naoko Koude
Après avoir travaillé dans la planification et la conception pour d'autres entreprises de vêtements, Naoko a rejoint Another Edition en tant que designer en 2008. Elle est devenue directrice créative de cette marque en 2015. Elle a ensuite lancé Pheeta au printemps et à l'été 2019.